Le statut juridique des marketplaces est un enjeu fondamental et se définit entre 2 catégories : intermédiaire et commerçant.
Dans l’écosystème du commerce électronique, les marketplaces occupent une place prépondérante, représentant plus de 60% des ventes en ligne en 2025.
Ces plateformes, qui mettent en relation vendeurs et acheteurs, opèrent cependant dans un environnement juridique complexe et en constante évolution.
La qualification juridique de leur activité constitue un enjeu fondamental, car elle détermine l’étendue de leurs obligations et le régime de responsabilité qui leur est applicable.
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La dualité des régimes juridiques applicables
Le cadre légal applicable aux marketplaces se caractérise par une dualité fondamentale : selon leur degré d’implication dans les transactions qu’elles facilitent, elles peuvent être qualifiées d’intermédiaires techniques ou de véritables commerçants. Cette distinction, loin d’être purement théorique, emporte des conséquences juridiques considérables.
La directive e-commerce de 2000, transposée en droit français, a établi un régime de responsabilité allégée pour les intermédiaires techniques. En tant qu’hébergeurs, les plateformes bénéficient d’une limitation de responsabilité concernant les contenus qu’elles stockent, à condition qu’elles n’aient pas connaissance de leur caractère illicite ou qu’elles agissent promptement pour les retirer dès qu’elles en sont informées.
À l’inverse, lorsqu’une marketplace intervient activement dans la transaction, elle peut être qualifiée d’éditeur ou de commerçant. Cette qualification entraîne une responsabilité de plein droit pour les contenus diffusés et les produits vendus. Les obligations qui en découlent sont alors considérablement plus lourdes, notamment en matière d’information précontractuelle, de garanties et de conformité des produits.
Les critères de qualification retenus par la jurisprudence
La frontière entre ces deux régimes s’est progressivement précisée au gré des décisions de justice, tant au niveau français qu’européen. Plusieurs critères déterminants ont émergé de cette jurisprudence pour qualifier le rôle exact d’une marketplace.
Le degré de contrôle exercé sur les offres constitue un premier élément d’appréciation majeur. Une plateforme qui se contente de stocker passivement les annonces des vendeurs, sans intervenir sur leur contenu ou leur présentation, pourra plus facilement revendiquer le statut d’hébergeur. En revanche, celle qui vérifie, modifie ou enrichit ces annonces s’éloigne de ce statut protecteur.
L’implication dans la transaction représente un autre critère décisif. Lorsque la marketplace perçoit une commission proportionnelle au montant des ventes, gère les paiements ou intervient dans le processus logistique, elle adopte un comportement qui s’apparente davantage à celui d’un commerçant qu’à celui d’un simple intermédiaire technique.
La promotion active des produits constitue également un indice fort de requalification. Une plateforme qui met en avant certaines offres, recommande des produits aux utilisateurs ou propose des fonctionnalités de recherche avancée s’éloigne du rôle passif caractéristique de l’hébergeur. L’arrêt Tiffany contre eBay aux États-Unis, suivi de plusieurs décisions en Europe, a marqué un tournant dans cette analyse. La jurisprudence reconnaît désormais qu’une marketplace peut avoir un rôle hybride, bénéficiant du statut d’hébergeur pour certains aspects de son activité tout en étant soumise à des obligations plus strictes pour d’autres.
L’impact de l’affaire Uber sur la qualification des plateformes numériques
L’arrêt Uber rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en 2017 a considérablement enrichi l’analyse du statut juridique des plateformes. Bien que concernant initialement un service de mise en relation dans le secteur du transport, cette décision a établi des principes transposables aux marketplaces.
Dans cette affaire emblématique, la Cour a considéré qu’Uber n’était pas un simple intermédiaire technique mais bien un service organisé de transport. Plusieurs éléments ont fondé cette qualification : l’influence décisive exercée sur les conditions de prestation (tarification, standards de qualité), la relation de subordination créée avec les chauffeurs et le contrôle exercé via l’application.
Par analogie, une marketplace qui fixe les prix des produits vendus, impose des standards stricts aux vendeurs et exerce un contrôle étroit sur leurs activités s’expose à une requalification. Cette évolution jurisprudentielle a conduit de nombreuses plateformes à repenser leur modèle opérationnel pour préserver leur statut d’intermédiaire.
La théorie de l’opérateur de plateforme en ligne développée par le législateur français vient compléter ce cadre d’analyse. Cette notion, introduite par la loi pour une République numérique, reconnaît la spécificité des plateformes numériques et leur impose des obligations adaptées, notamment en matière de transparence sur leur fonctionnement.
Les conséquences pratiques de la qualification juridique
Les implications de la qualification juridique d’une marketplace sont multiples et touchent à tous les aspects de son activité. Comprendre ces conséquences est essentiel pour les opérateurs souhaitant sécuriser leur modèle d’affaires.
En matière de responsabilité civile, une marketplace qualifiée d’hébergeur bénéficie d’un régime favorable. Sa responsabilité ne peut être engagée que si, ayant connaissance du caractère illicite d’un contenu, elle n’agit pas promptement pour le retirer. À l’inverse, une plateforme qualifiée de commerçant répond directement des défauts des produits vendus, même si elle n’en est pas le fabricant.
Sur le plan des obligations d’information, les différences sont également marquées. Un simple intermédiaire doit principalement veiller à la transparence concernant son rôle et son fonctionnement. Un opérateur requalifié en commerçant doit, quant à lui, respecter l’ensemble des dispositions du Code de la consommation relatives à l’information précontractuelle, particulièrement exigeantes en matière de vente à distance.
Les implications fiscales ne sont pas moins importantes. Une marketplace agissant comme intermédiaire facilite simplement les transactions entre vendeurs et acheteurs, la TVA étant collectée par les vendeurs. Si elle est qualifiée de revendeur, elle devient redevable de la TVA sur l’intégralité du prix de vente, ce qui peut considérablement affecter sa rentabilité.
Face à ces enjeux complexes, de nombreuses plateformes sollicitent l’expertise d’un avocat e-commerce pour analyser leur modèle opérationnel et anticiper les risques de requalification. Cette démarche préventive permet d’identifier les points de vigilance et d’ajuster les processus avant qu’un contentieux ne survienne.
L’évolution du cadre législatif européen
Le cadre juridique applicable aux marketplaces connaît actuellement une transformation profonde avec l’adoption récente de nouvelles législations européennes. Ces textes viennent préciser et parfois redéfinir le statut des plateformes numériques.
Le Digital Services Act (DSA), entré pleinement en vigueur en 2025, maintient le principe de responsabilité limitée des hébergeurs tout en renforçant considérablement leurs obligations. Les procédures de notification et de retrait sont désormais strictement encadrées, avec des délais contraints et des obligations de transparence accrues.
Le DSA introduit également le concept de “diligence raisonnable” que doivent exercer les plateformes. Cette notion implique la mise en place de mesures proactives pour prévenir les comportements illicites, sans pour autant imposer une obligation générale de surveillance. Cette approche équilibrée vise à responsabiliser les marketplaces tout en préservant leur modèle économique.
Le Digital Markets Act (DMA) complète ce dispositif en ciblant spécifiquement les plateformes désignées comme “contrôleurs d’accès” (gatekeepers). Pour ces acteurs dominants, des obligations supplémentaires s’appliquent, notamment en matière d’interopérabilité et de non-discrimination entre les vendeurs. Ces dispositions reflètent la volonté du législateur européen de tenir compte de la position particulière qu’occupent certaines marketplaces dans l’écosystème numérique.
Les stratégies d’adaptation des marketplaces
Face à l’évolution du cadre juridique et de la jurisprudence, les marketplaces ont développé diverses stratégies pour sécuriser leur statut et limiter leur exposition aux risques de requalification.
La clarification du rôle d’intermédiaire constitue une première approche. De nombreuses plateformes ont revu leurs conditions générales d’utilisation pour expliciter leur positionnement comme simple facilitateur de transactions entre vendeurs indépendants et acheteurs. Cette transparence est renforcée par des mentions visibles sur le site, rappelant systématiquement que la marketplace n’est pas partie au contrat de vente.
La révision des processus opérationnels représente un autre axe d’adaptation. Certaines plateformes ont délibérément réduit leur implication dans les transactions, en limitant par exemple leur rôle dans la fixation des prix ou en laissant aux vendeurs davantage d’autonomie dans la gestion de leurs offres. Cette distanciation vise à conforter leur statut d’intermédiaire technique.
Le développement de services optionnels constitue une approche pragmatique, permettant de concilier attentes des utilisateurs et sécurité juridique. Plutôt que d’intégrer certaines fonctionnalités potentiellement problématiques dans leur offre de base, des marketplaces proposent désormais des services complémentaires clairement distincts (logistique, garantie, etc.), souscrits séparément par les vendeurs qui le souhaitent.
Les nouveaux modèles hybrides : concilier sécurité juridique et qualité de service
L’avenir des marketplaces semble s’orienter vers des modèles hybrides plus sophistiqués, conçus pour naviguer habilement entre les différents régimes juridiques tout en garantissant une expérience utilisateur optimale.
Le modèle de la marketplace augmentée combine une infrastructure technique d’intermédiation avec des services additionnels clairement identifiés. En dissociant explicitement ces deux dimensions, la plateforme peut maintenir son statut d’hébergeur pour l’activité de mise en relation tout en développant des services à valeur ajoutée soumis à un cadre juridique distinct.
La modulation de l’implication selon les catégories de produits représente une autre tendance émergente. Certaines plateformes adoptent une approche différenciée, limitant leur intervention pour les produits standard tout en exerçant un contrôle plus étroit sur les catégories sensibles ou à risque. Cette stratégie permet d’adapter le niveau de responsabilité au niveau de risque spécifique à chaque segment.
L’émergence de marketplaces sectorielles spécialisées s’inscrit également dans cette dynamique d’adaptation. En se concentrant sur un secteur spécifique, ces plateformes peuvent développer une expertise pointue et proposer un cadre juridique parfaitement adapté aux particularités de leur domaine, optimisant ainsi la sécurité juridique sans compromettre la qualité du service.
Bâtir une marketplace juridiquement sécurisée : une nécessité stratégique
La question du statut juridique des marketplaces dépasse largement le cadre d’une simple préoccupation légale pour s’affirmer comme un enjeu stratégique majeur. Dans un marché de plus en plus concurrentiel et face à des consommateurs toujours plus exigeants, la sécurisation juridique du modèle devient un véritable facteur de différenciation.
Les plateformes qui parviennent à construire un cadre juridique solide en adéquation avec leur positionnement bénéficient d’un avantage compétitif durable. Cette approche leur permet non seulement de limiter les risques de contentieux coûteux, mais aussi d’instaurer une relation de confiance avec l’ensemble des acteurs de leur écosystème : vendeurs, acheteurs et partenaires.
La complexité croissante du cadre réglementaire et de la jurisprudence rend indispensable une vigilance constante et une capacité d’adaptation rapide. Les marketplaces qui réussissent sont celles qui intègrent pleinement la dimension juridique dans leur stratégie de développement, en anticipant les évolutions plutôt qu’en les subissant. Dans cette perspective, l’accompagnement juridique devient un investissement stratégique, garant de la pérennité et de la croissance durable de la plateforme.


